L’hiver approche et tu hésites entre deux carbones : celui de tes chaussures ou celui de ton cadre pour ta séance « à la sensation ». Bonne question : à perception d’effort identique, est-ce que ton corps réagit pareil en course et à vélo ?


Pourquoi la respiration est notre GPS d’intensité
Dans nos travaux (Palacin, Billat et coll.), nous avons montré que la fréquence respiratoire (Rf) est le signal physiologique le plus étroitement lié au RPE (la fameuse échelle de perception d’effort). Traduction blog : plus la séance « te paraît » intense, plus la cadence de ta respiration grimpe de manière régulière et prévisible, mieux que bien d’autres variables « high-tech ». Sur marathon, suivre la Rf reflète très finement le niveau d’intensité perçu et aide à tenir l’allure sans se brûler trop tôt.
Le protocole RABIT, version terrain (course) et labo (vélo)
RABIT = Running (ou Riding) Advisor by BillaTraining.
Le principe : tu pilotes l’intensité par la sensation en enchaînant quatre phases auto-régulées :
- Facile → Moyen → Dur → Sprint,
- avec des durées standardisées (ex. facile 10′, moyen 5′, dur 3′, sprint 10″, récupérations courtes).
- Course réalisée en extérieur (pour une foulée et un sprint naturels),
- Vélo sur ergomètre Cyclus (sécurité maximale pour sprinter sans risque).
Puis on mesure Rf, VT (volume courant), VE (débit ventilatoire = Rf × VT), VO₂, QR (quotient respiratoire) et quelques cinématiques respiratoires.
Ce que disent les données (et comment t’en servir dès demain)
1) Fréquence respiratoire (Rf) — ton métronome interne
Physiologie express
- Bas → moyen : la course respire plus vite que le vélo (recrutement musculaire global, impacts/oscillations → drive ventilatoire plus élevé).
- Dur : l’écart se réduit ; le pédalage permet de monter le débit avec moins de contraintes mécaniques.
- Sprint : plafond commun ≈ 61 resp/min, course = vélo (IC95 % qui se chevauchent).
Entraînement
- Base/tempo : la course stimule davantage la Rf → utile pour développer la commande ventilatoire à faible coût mécanique.
- Intervalles forts / sprints : le vélo atteint la même Rf sans impact → idéal pour charger le système ventilatoire tout en préservant l’appareil locomoteur.
À retenir
Rf plus élevée en course aux intensités basses et moyennes, rattrapée par le vélo en dur, égale au sprint.
Combo gagnant : course pour la base ventilatoire, vélo pour les blocs très intenses.
(Figure 1 : Rf en resp/min ; Figure 2 : Rf en % de Rf max).
2) Volume courant (VT) — la profondeur du souffle (L par cycle)
- Pic de VT au palier “dur” : ~+0,35 L vs sprint (p = 0,015).
→ Très intense : on augmente surtout la fréquence, pas la profondeur. - Pas de différence course ↔ vélo à phase identique (p = 0,53).
→ Les écarts de Rf ne viennent pas d’un VT plus grand en course. - Sprint : VT proche ou légèrement inférieur à “dur”.
Drills
Dur/tempo 3–5′ (course ou vélo) = respirer profond ;
Sprints (course ou vélo) = booster la fréquence ;
Penser ouverture costale + expiration longue en “dur”.
Conclusion
VT est piloté par l’intensité, pas par la modalité : vélo pour charger sans impact, course pour intégrer la mécanique de foulée et exploiter le pic de VT en “dur”.
3) Débit ventilatoire (VE = Rf × VT) — le « souffle par minute »
Moyennes (L·min⁻¹)
- Course : Facile 71,2 · Moyen 88,0 · Dur 102,7 · Sprint 100,3
- Vélo : Facile 46,8 · Moyen 67,5 · Dur 101,9 · Sprint 100,3
(IC95 % ≈ ±13 L·min⁻¹ sur facile/moyen/dur ; ≈ ±9 sur sprint)
Lecture rapide
- VE ↑ avec l’intensité et plateau ~100 L·min⁻¹ entre dur et sprint dans les deux modalités.
- Course > Vélo en facile/moyen
– Facile : +24,5 L·min⁻¹ (+52 %) ; Moyen : +20,6 L·min⁻¹ (+30 %).
→ Rf plus élevée en course + VT similaire = VE plus haut. - Convergence à haute intensité : ~100 L·min⁻¹ partout.
Applications
- Endurance fondamentale / récup : à vélo, VE nettement plus bas pour une même sensation → économie ventilatoire.
- Travail ventilatoire “débit” sans impact : blocs durs en course ou vélo (≈ 100 L·min⁻¹ dans les deux).
- Sprints : accélèrent la Rf, n’augmentent plus beaucoup le VE au-delà de “dur”.
4) VI — « volume/temps inspiré », comment le comprendre
Ici, VI reflète la phase inspiratoire : quantité inspirée pendant l’inspiration, qui dépend du temps inspiratoire (≈ 1,0–1,4 s selon phases) et du débit inspiratoire.
Messages clés
- VI est plus “long/élevé” à vélo qu’en course en dur et moyen
– Dur : +24 % (1387 vs 1121) ; Moyen : +23 % (1415 vs 1154) — IC95 % non chevauchants. - Facile : tendance +13 % à vélo (1350 vs 1196), IC95 % qui se recouvrent → prudence.
- Sprint : identique (≈ 1012) → cycles respiratoires raccourcis partout.
Physio express
Position assise/aéro = angle hanche-tronc favorable → inspiration plus longue à vélo quand l’intensité grimpe.
En sprint, la priorité = fréquence → VI converge.
Conseils
- Vélo moyen/dur : synchronise cadence et respiration (rythmes 2:2 ou 2:1) pour profiter de ce VI plus long.
- Course : reste relâché, cadence régulière pour éviter l’hyperventilation quand la mécanique élastique raccourcit naturellement l’inspiration.
5) QR — où se cache la zone lipides ?
Profil en U : QR bas en facile, haut en dur/sprint.
👉 La zone lipides est clairement en “facile”, encore plus nette à vélo qu’en course.
À faire : longs blocs vélo facile (respiration silencieuse/rythmée) pour imprimer l’oxydation des graisses sans casse ; cours(e) facile en complément technique.
6) VO₂ — la facture énergétique à perception égale
Course : 3,14 L·min⁻¹ (IC95 % 2,98–3,30)
Vélo : 2,63 L·min⁻¹ (IC95 % 2,47–2,79)
➡️ ≈ +19 % pour la course (IC non chevauchants).
Par phase : Dur > Moyen > (Sprint ≈ Facile).
Explication : Dur assez long pour approcher le plateau ; sprint court = cinétique VO₂ trop lente → anaérobie majoritaire.
Entraînement : pour travailler un VO₂ élevé, vise des blocs ≥ 2–3 min (course et vélo). Les sprints servent surtout la puissance anaérobie et la cinétique, pas le VO₂ moyen.
Petit détour par la littérature VO₂max (pour patienter jusqu’au prochain billet)
- Chez les triathlètes, le VO₂max est le plus souvent plus élevé en course qu’à vélo (revues triathlon).
- Exemple : Schneider & Pollock (1991) : ~+6 % en course (48,9 vs 45,2 ml·kg⁻¹·min⁻¹), HRmax également plus haute en course.
- Pourquoi ? Spécificité musculaire et masse active (course portante, stabilisateurs) ; position vélo (angle hanche-tronc) pouvant limiter la ventilation et favoriser une limitation périphérique plus précoce ; HRmax plus basse à vélo.
- Nuance : l’écart varie avec le profil d’entraînement et les protocoles.
👉 Moralité pratique : teste les deux modalités si possible pour calibrer tes zones (puissance à vélo, vitesse en course).
La boîte à outils « entrainement à la sensation »
- Facile : Rf basse/stable, conversation en phrases, QR bas → vélo idéal pour charger en volume.
- Moyen : Rf ↑, VE ↑, conversation en courtes phrases.
- Dur : pic de VT, Rf contrôlée, conversation en mots → blocs de 3–6′.
- Sprint (10–15″) : Rf plafonne, course = vélo → stimulus neuromusculaire sans chercher du VE > “dur”.
TL;DR
- Même sensation, réponses proches, mais la course ventile et consomme plus aux intensités basses/moyennes.
- VE converge vers ~100 L·min⁻¹ en dur/sprint pour les deux modalités.
- VI (phase inspiratoire) plus long à vélo hors sprint.
- Zone lipides = “facile”, plus nette à vélo (QR bas).
- VO₂ ≈ +19 % en course à perception égale.
- Mix gagnant : vélo pour économie ventilatoire et volume, course pour base ventilatoire et mécanique de foulée.
La suite ?
Dans le prochain blog, on revient avec VO₂max en détail et un comparatif “cardio & cerveau” (oui, on met l’EEG/HRV sous la loupe) pour expliquer pourquoi la sensation guide si bien l’entraînement.
En attendant, choisis ton carbone du jour… et laisse ta respiration te coacher.









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