Le mythe du « +4 % » : quand le marketing prétend battre la physiologie

Depuis que les “super-chaussures” ont surgi sur nos pistes et nos marathons, on nous répète qu’elles offriraient +4 % d’amélioration du coût énergétique — comme si la performance se résumait à une boîte de mousse et de carbone.

Or la physiologie raconte une autre histoire : l’entraînement bien structuré (force lourde et explosive, travail près de la vVO₂max, variabilité maîtrisée de l’allure) fait gagner davantage, plus fiablement et plus durablement, sur le coût énergétique et sur la vitesse soutenable. Quant au « 4 % », il se perd souvent dans la variabilité biologique et l’incertitude de mesure. Ce billet met les chiffres à leur place — et la personne qui court au centre.

Pourquoi le « 4 % » est une aberration pratique (et scientifique)

Le fameux chiffre provient de protocoles de laboratoire hétérogènes et d’échantillons restreints. Répétez la mesure un autre jour, changez légèrement l’allure, passez du tapis au terrain, et vous obtenez facilement ±2–4 % rien que par variabilité et bruit de mesure. La littérature récente insiste d’ailleurs : pour savoir si une chaussure vous « fait gagner », il faut multiplier les essais, contrebalancer les conditions, et accepter que le gain n’est pas universel. Certaines morphologies (pieds pronateurs, par exemple) tirent moins de bénéfice des plaques ; chez d’autres, le bénéfice est réel, parfois net, mais conditionnel à la vitesse, à la technique, et à la stabilité dynamique. Bref : aucune recette générale — seulement des réponses individuelles.

Ce que l’entraînement fait vraiment — et en bien plus grand

La bonne nouvelle, c’est que l’outil le plus puissant est dans vos jambes… et dans votre plan d’entraînement. Les revues et méta-analyses montrent que la force lourde (≥ 80 % 1RM) et/ou l’explosif/plyométrique, ajoutés au foncier, abaissent l’économie (coût) de ~2 à 8 % selon les protocoles, améliorent la vVO₂max et font progresser les performances du 1,5 au 10 km. Plus le cycle est long (8–16 semaines), plus l’effet est marqué. En clair : on dépasse très souvent le “4 %”, et avec un bénéfice qui reste.

Mécaniquement, ces gains s’expliquent : meilleure coordination neuromusculaire, raideur musculo-tendineuse plus efficiente, retard du recrutement de fibres moins économiques. Et l’impact n’est pas cantonné au laboratoire : il se voit sur le chrono.

Les chaussures ne sont pas “fausses” — mais elles ne courent pas à votre place

Oui, certaines géométries (plaque courbée, rocker prononcé, mousses résilientes) redistribuent le travail : moins à la cheville, plus au genou chez certains, avec parfois un meilleur rendement mécanique de la cheville. Cela peut se traduire par une baisse de coût… ou pas. De plus, déplacer les charges comporte des contreparties : selon le modèle et votre profil, les contraintes genou/Achille peuvent monter ; la phase de retour de jambe peut devenir plus vive, augmentant la demande excentrique sur les ischios si vous n’êtes pas prêt·e. D’où la règle d’or : progressivité d’usage, renforcement excentrique, et choix individualisé.

La méthode centrée coureur : le radar énergétique

Plutôt que d’acheter une promesse, mesurez votre profil et laissez la chaussure s’y adapter. Je vous propose un radar énergétique simple à tracer :

  • Puissance aérobie et réserves de vitesse (facile → dur → sprint)
  • Cadence et temps de contact (stabilité spatio-temporelle)
  • Variabilité maîtrisée de l’allure (la “gouvernance”)
  • Stabilité dynamique (directionnelle/rotationnelle)
  • Tolérance mécanique (jambe-cheville/Achille/genou)
  • Endurance spécifique (coût à l’allure cible)

À partir de là, on appaire : mousse (retour/relaxation), rocker/apex, hauteur d’empilement, raideur/forme de la plaque (plate vs courbée), selon vous — pas l’inverse. Puis on entraîne ce qui manque (force lourde/excentrique, travail technique près de vVO₂max, oscillations de vitesse) pour verrouiller le gain.

Encart chiffres — ce que disent les données de la littérature (ordre de grandeur à retenir)

  • Chaussures (groupe) : baisse d’O₂-cost moyenne rapportée modeste et hétérogène (non universelle ; dépend du modèle, de la vitesse, du profil).
  • Pronateurs : bénéfice réduit avec plaques.
  • Masse : règle pratique ≈ 1 % de coût énergétique par 100 g ajoutés/retirés.
  • Entraînement : force lourde/explosive + intervalles près de vVO₂max–2 à –8 % de coût (selon études), vVO₂max ↑, chronos ↑ — effet durable et réplicable.

Mode d’emploi — testez chez vous (terrain > tapis) 2 × 10 min à allure marathon, récup 3 min : comparez FC, RPE, temps de contacte entre les deux répétitions

Conclusion.
Le « 4 % » vendeur est une moyenne fragile. La physiologie est plus généreuse : entraînée intelligemment, elle offre plus que 4 % (11% de vitesse « facile » « moyenne » « dure » et même « très dure » en 8 semaines avec BillaTraining) — avec moins de risques et plus de maîtrise. La chaussure est un outil ; le moteur, c’est vous 😉.

Références (sélection, pour le lecteur curieux) :
Barnes 2014 ; Denadai 2016 ; Blagrove 2018 ; Lanos-Llagos 2024 ; Mayoralas 2017 ; Montero 2015 ; Rønnestad 2013 ; Van Hooren 2024–2025 ; Miyazaki 2024 ; Seo 2025 ; Toshiya 2025 ; Werkhausen 2024 ; Brueggemann 2025 ; Carranza 2025.

Pour aller plus loin : voici plus de détails à partir de ma recherche bibliographique mise à jour 2024-25 sur la question des chaussures carbone:

1) Pourquoi le « coût énergétique » gouverne vraiment la performance

En trail comme sur route, la performance n’est pas qu’une question de VO₂max : c’est le coût énergétique de déplacement (CED) — l’énergie nécessaire par kilo et par kilomètre — qui convertit une VO₂ en vitesse réelle. C’est la raison pour laquelle l’«équivalence » simpliste 1000 m de dénivelé = 10 km à plat n’est pas universelle : selon la pente, l’allure, la technique et le matériel (chaussures), le CED varie fortement, et la vitesse qui en résulte aussi. Les synthèses récentes liant biomécanique et économie de course rappellent combien ce coût dépend de multiples médiateurs (technique, anthropométrie, architecture musculaire, etc.) et de la variabilité inter-individuelle — un point capital pour comprendre les réponses hétérogènes aux chaussures modernes.

2) Le seuil mythique de ~3,8 kJ·kg¹·km¹ et la ruée vers la plaque carbone

Dans la quête du marathon < 2 h, on a ciblé un CED voisin de 3,8 kJ·kg¹·km¹ comme condition nécessaire pour convertir les puissances aérobie/hors aérobie en vitesse record. La vague des « super-chaussures » (mousse très résiliente + plaque — souvent carbone — courbée dans une semelle haute) est née de cet objectif. La première Nike Vaporfly 4 % est commercialisée le 20 juillet 2017, après des prototypes vus dès 2016 ; la bascule réglementaire (World Athletics) fixera ensuite la hauteur de semelle à 40 mm et exige un modèle disponible dans le commerce (règles 2020).
Côté science, des travaux fondateurs ont montré des baisse(s) d’O₂ en conditions contrôlées, mais sans mécanisme unique et universel, ce qui appelait des analyses plus fines par la suite. (PubMed)

3) « Efficaces »… mais pour qui, et à quelles conditions ?

La littérature 2024-2025 (incluant vos ajouts) dresse un tableau nuancé :

  • La courbure de la plaque et le “teeter-totter effect”
    Au-delà de la seule « raideur en flexion longitudinale » (LBS), la géométrie compte. Un protocole sur piste instrumentée montre qu’une plaque courbée peut réduire le travail mécanique et améliorer l’efficacité mécanique au niveau de la cheville (moins de couple plantaire pendant une grande partie de l’appui), ce qui est compatible avec une contraction musculaire plus économique.
    Cette étude met en scène la transmission d’énergie segmentaire (shank→foot) et explique comment la courbure renforce la fonction « rocker », raccourcit le bras de levier et modère les vitesses angulaires défavorables.
  • La raideur (LBS) n’explique pas tout
    Une synthèse/méta-analyse 2025 examine LBS et retour d’énergie de la mousse : résultat → effets hétérogènes, tailles d’effet modestes et dépendantes du profil de coureur et du modèle de chaussure. En clair, pas de bouton unique « +4 % ».
  • Les médiateurs biomécaniques varient selon les individus
    Une revue 2025 pilotée par Van Hooren souligne qu’aucun médiateur (cinématique, morphologie, architecture musculaire, comfort filter, etc.) ne ressort comme universel pour expliquer les gains de RE à travers chaussures ; elle insiste aussi sur la nécessité de multiples essais par condition, tant la variabilité bio et instrumentale peut masquer/imiter un « gain ».
  • Pronateurs : gain moindre, voire nul
    Une étude dédiée montre que des pieds pronatés tirent moins de bénéfice en RE d’une plaque carbone que des pieds « normaux », possiblement via une ROM cheville/orteils réduite et une moindre capacité à stocker/restaurer l’énergie de la plaque.
  • Cinématique/kinétique du pied-jambe
    Des mesures 3D complètes (2025) montrent des modulations d’angles/moments aux articulations du pied et de la jambe sous plaque carbone, confirmant que l’action mécanique se déplace (moins au MTP, plus ailleurs selon modèles/allures). Ces redistributions n’aboutissent pas systématiquement à une RE meilleure pour tout le monde.
  • Stabilité & fatigue
    En parallèle, on trouve des modifications de la stabilité dynamique (insoles raides) et des effets de la fatigue sur la forme/efficacité de la plaque. Traduction : ce qui « marche » frais à allure modérée peut différer en fin de marathon ou en descente trail.
  • Tapis vs terrain / route vs trail
    Les comparaisons en côte/descente trail montrent des réponses spécifiques à la pente ; extrapoler les résultats tapis→terrain devient délicat, et les protocoles hétérogènes expliquent bien des conclusions contradictoires.

4) Mécanique d’abord, physiologie ensuite : un « mismatch »

Notre regard de physiologiste (35 ans de pratique, ancienne athlète et entraîneure) est que la chaussure a été pensée en mécanique : augmenter le bras de levier utile, emmagasiner/restituer, rigidifier les zones « coûteuses » (MTP). Dans la vraie vie, c’est souvent le coureur qui s’adapte à la chaussure — pas l’inverse — sauf chez quelques champions équipés sur mesure (géométrie, mousse, rigidité, « gouvernance » de l’allure). Les cadres récents plaident justement pour l’individualisation : sélectionner la bonne combinaison mousse/plaque/rocker/rigidité pour le profil énergétique et biomécanique donné, pas « une plaque pour tous ».

5) Pourquoi le « +4 % » est (souvent) dans l’erreur de mesure

Sur de petits échantillons, un seul essai par condition suffit à « créer » un +/– 2–4 % par variabilité (jour-à-jour, calibrage VO₂, dérive cardio, micro-pacing), d’où la mise en garde méthodologique : répéter les essais, contrebalancer les ordres, respecter les temps d’équilibre. Les revues 2024-2025 martèlent ce point.
Ajoutez à cela que certaines populations (pronateurs, adaptations techniques spécifiques) répondent moins, différemment ou négativement.

6) Une approche nouvelle : la chaussure dictée par le « radar énergétique » du coureur

Plutôt que d’imposer la mécanique, mesurons le « radar énergétique » individuel (puissance, cadence, variabilité de vitesse, réserve de puissance, tolérance excentrique, élasticité MTU, efficacité MTP, stabilité directionnelle…). On choisit la géométrie (stack/rocker/position d’apex), la raideur (plaque plate vs courbée), et la mousse (retour/temps de relaxation) à partir de ce radar. Les données récentes plaident pour cette individualisation (réponses clusterisées aux hauteurs de stack, à la LBS, etc.).
C’est exactement l’esprit du Billatraining : travailler à vVO₂max et par oscillations de vitesse (ex. 30’’/30’’) pour maximiser le temps passé à VO₂max, améliorer la gouvernance de l’allure et l’économie dans des contraintes réalistes… avant de valider l’outil « chaussure » chez l’athlète. (PubMed, publications.billatraining.com)

7) Blessures et « retour raide » : attention aux ischios

Les technologies MAX/plaques peuvent déplacer les charges : soulager la cheville/Achille via rocker, mais augmenter les moments au genou (et parfois la contrainte sur l’Achille selon la position du point d’appui), avec un risque accru de blessures (observations sur 12 mois : genou, Achille). Dans certains réglages, le « snap » de restitution peut accélérer le retour de jambe et augmenter la demande excentrique proximale (ischios) en fin de cycle, surtout si la technique n’y est pas préparée.
Moralité : sans adaptation progressive et renforcement excentrique, la promesse « économie » peut se payer en jours d’arrêt — ce qui annihile tout gain théorique.


Ce que disent les papiers récents (en bref)

  • Miyazaki 2024 (J Biomech) : la plaque courbée améliore l’efficacité mécanique à la cheville (MEC↑, MEE↓), en modulant les vitesses angulaires shank/foot et en raccourcissant le bras de levier ; plausible vecteur d’amélioration de la RE, mais la preuve métabolique directe reste à faire.
  • Stephen 2025 (revue/méta) : LBS + retour d’énergie → résultats inconstants et dépendants du sujet/modèle ; l’optimisation n’est pas monotone « plus raide = mieux ».
  • Van Hooren 2025 : aucun médiateur unique, variabilité forte, nécessité de multiples essais.
  • Toshiya 2025 : pronateursgain RE réduit avec plaque, via ROM limitée et stockage-restitution amoindri.
  • Seo 2025 : cinématique/kinétique du pied-jambe modifiées par la plaque (réallocation des efforts), pas de garantie d’un gain métabolique chez tous.
  • Fukuchi 2024 (trail) : réponses spécifiques à l’uphill/downhill ; prudence sur l’extrapolation tapis→terrain.
  • Gao 2025 / Xu 2025 / Yang 2025 : stabilité et fatigue interagissent avec la forme et la raideur ; les effets peuvent s’atténuer ou s’inverser selon l’état de fatigue et l’allure.
  • Brüggemann 2025 (pré-print) & cohorte 12 mois : les « MAX » augmentent les charges et le risque de blessures au genou (et possiblement Achille) vs d’autres techno ; l’outil influe fortement le profil de blessures, indépendamment de l’âge/volume.

Notre position (pratico-pratique)

  1. Mesurer d’abord : VO₂/puissance, radar énergétique, variabilité de vitesse, sur plusieurs séances.
  2. Choisir la géométrie (rocker/apex), la plaque (plate vs courbée), la mousse (retour/temps) pour votre radar, pas l’inverse.
  3. Adapter la foulée (travail technique) & renforcer (excentrique ischios/chaîne postérieure) pour encaisser le « snap ».
  4. Comparer honnêtement : 3–5 essais croisés par modèle/allure, corrections du poids, et critère primaire = coût énerg. (kJ·kg⁻¹·km⁻¹).
  5. S’entraîner intelligemment (Billatraining) : la modulation intelligente des vitesses/allures fournit plus de gain durable qu’un hypothétique « +4 % » souvent dans l’erreur de mesure/variabilité. (PubMed)

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