Trail : démonstration bioénergétique contre la règle “1000 m D+ = 10 km plat”

Le « calcul du Dahu »

(ou comment « 1000 m D+ = 10 km de plat » bizute les novices et trompe les classements).

Avouons-le : cette équivalence « 1000 m de dénivelé = 10 km de plat » est un Dahu scientifique. On la raconte aux novices montagnards pour les bizuter, et quelques apprentis “scientifiques” la répètent gravement, brandissant l’amulette mécanique ci-dessous. Sauf que… la montagne ne lit pas les barèmes.

L’amulette mécanique souvent invoquée :

Pourquoi c’est un Dahu

• Le coût énergétique n’est ni linéaire ni symétrique : il dépend de la pente i. Descendre à −10 % à −20 % peut coûter moins que le plat, alors que les fortes montées explosent le coût par mètre.

• Le geste n’est pas unique : on court, on marche, on pousse aux bâtons. Le modèle « tout‑course‑plat » est hors‑sol.

• Le terrain n’est pas standardisé : neige, boue, pierriers… la surface change le coût.

La vitesse réelle dépend d’un rapport simple : puissance disponible / coût par mètre :

Quand la pente i change, C(i) change, donc la même puissance ne produit pas la même vitesse. On remplace alors la règle de trois par une mesure falsifiable : intégrer la trace GPX, calculer le coût dépendant de la pente, et convertir l’énergie totale en une distance plate équivalente (EFD).

Conséquence sur les classements

Plaquer le « Dahu » sur un plafond « 1000 points » calé sur le record du monde marathon revient à classer des trails comme des marathons déguisés. On note surtout l’erreur du barème : l’EFD issue du GPX diverge systématiquement de « 10 km/1000 m », parfois massivement.

À retenir

• Le calcul « 1000 m D+ = 10 km de plat » est une légende de Dahu : facile à raconter, fausse à l’usage.

• La montagne impose la bioénergétique réelle : C(i) varie avec i, la surface et le mode de locomotion.

• Pour comparer et classer, on mesure l’énergie sur la trace (GPX) et on en déduit l’EFD — pas un raccourci mécanique.

Donc le coût énergétique des pentes positives et négatives — y compris la neige (cf. UTMB 2025) — modifie la distance équivalent plat (EFD), réduit la vitesse pour un même chrono de trail, et donc abaisse la “vraie” distance équivalente : autrement, le record du monde du marathon serait… explosé.

Démontrons, avec équations et chiffres, pourquoi la correction « 1000 m de dénivelé positif = 10 km de plat » est mécaniquement séduisante mais bioénergétiquement fausse. La vitesse réalisable dépend du coût énergétique par mètre, lui-même fonction de la pente (positive et négative).

1) Rappel mécanique (insuffisant)

L’argument classique compare l’énergie potentielle gravitationnelle au terme cinétique :

mgh = 1/2 m v2

Même si cela suggère numériquement une « équivalence » (g ≈ 9,81), ce raisonnement n’intègre ni la physiologie de la locomotion ni la dépendance du coût énergétique à la pente et au type de contraction musculaire (concentrique/excentrique).

2) Coût énergétique de course en fonction de la pente

Le coût énergétique massique par mètre de course (niveau : 3,6 J·kg⁻¹·m⁻¹) varie de manière non linéaire avec la pente i (décimale, ex. +0,10 = +10%) :

Cr(i) = 155,5 i5 − 30,4 i4 − 43,3 i3 + 46,3 i2 + 19,5 i + 3,6   [J·kg−1·m−1]

La courbe présente un minimum autour de −17 % (descente modérée), et augmente fortement aux pentes raides en montée comme en descente (freinage excentrique).

3) Vitesse réalisable et ‘distance plate équivalente’ (EFD : Equivalent Flat Distance))

Pour un athlète donné, la vitesse soutenable sur pente i se relie à la fraction soutenable de VO₂max et au coût :

v(i) ≈ f · V̇O2max / Cr(i)

Sur une trace (GPX), on intègre l’énergie segmentaire pour obtenir l’EFD :

Etot/kg = Σ Cr(ij)·Δsj

Deq = Etot / Cr(0)

4) Application 2025 (vainqueurs H) – Sierre‑Zinal & UTMB

Les chiffres ci‑dessous utilisent les profils publics et des pentes moyennes prudentes pour les segments montants/descendants. Ils fournissent une borne basse de la divergence avec la règle « 10 km/1000 m ».

CourseTempsDistance (km)D+ (m)D− (m)Pentes ↑ / ↓ (hyp.)EFD Minetti (km)Naïf 10 km/1000 m (km)
Sierre‑Zinal 2025 (H)2:28:4531,022001100+16 % / −17 %43,5053,0
UTMB 2025 (H)19:18:58174,099009900+12 % / −12 %204,27273,0

La règle « 10 km/1000 m » surestime l’EFD de +22 % (Sierre‑Zinal) et +34 % (UTMB) par rapport au calcul bioénergétique. Des conditions comme la neige/boue augmenteraient encore l’EFD réelle.

En effet, Sierre–Zinal 2025 (31 km, D+≈2200 m, D−≈1100 m)

Découpage réaliste par pentes (3 km @ +25 %, 4,1 km @ +13,4 %, 9 km @ +10 %, 11 km @ −10 %, 3,9 km @ 0 %).

•            EFD (modèle pentes) : ≈ 42,24 km

•            « Règle 1000 m = 10 km » : 31 + 2,2×10 = 53,0 km

→ La règle surestime la distance de ~25 %.

Pour l’UTMB : Effet sur une « vitesse équivalente plat » purement illustrative avec 2:28:45 : Temps 2025 (hommes) : 2:28:45 (Philemon Kiriago).

•            Modèle → ≈ 2:28:36 marathon-équivalent ;

•            Règle 10 km → ≈ 1:58:25 (fantaisiste).

UTMB 2025 (parcours écourté + neige) : • UTMB : 19:18:58 (Tom Evans).

Pentes cumulant ~173 km, D+≈9750 m, D−≈9760 m (ordre de grandeur UTMB). Trois scénarios :

  • Sec : EFD ≈ 201,9 km
  • + Neige ~25 km, s = 1,20 : EFD ≈ 245,0 km
  • + Neige ~25 km, s = 1,60 : EFD ≈ 258,6 km
    Comparaison règle 10 km/1000 m : 173 + 9,75×10 = 270,5 km → la règle ignore à la fois (i) le coût minimal en descente autour de −10 à −20 % et (ii) la pénalité surface (neige) quand elle est présente. (La neige augmente fortement le coût/ mètre ; cf. sable 1,6× chez Lejeune 1998 et neige/snowshoeing >+50 % : Connolly 2002).

5) Abréviations et notations (explicitées)

D+, D− : Dénivelé positif / négatif (m).

i : Pente en décimal (ex. +0,10 = +10 %).

Cᵣ(i) = Cr(i) : Coût énergétique massique par mètre à la pente i (J·kg⁻¹·m⁻¹).

EFD : Equivalent Flat Distance : distance de plat qui aurait le même coût énergétique total.

V̇O₂max : Consommation d’oxygène maximale ; ‘V̇’ indique un débit, O₂ avec indice 2.

f : Fraction soutenable de V̇O₂max (dépend de la durée d’effort).

GPX : Format de fichier stockant les points (distance/altitude/temps) d’une trace.

UTMB : Ultra‑Trail du Mont‑Blanc.

ITRA : International Trail Running Association.

6) Résumé

Comparer un trail à une course de plat standardisée via « 1000 m D+ = 10 km » est physiologiquement infondé. Le coût de course dépend de la pente (montée/descente) et des conditions de terrain, donc la vitesse moyenne et les points dérivés d’une ‘distance équivalente’ plate naïve sont biaisés. L’EFD issue de l’intégration de Cᵣ(i) sur la trace est une base robuste pour l’évaluation.

Pour aller plus loin la démonstration :

1) Rappel mécanique (utile mais insuffisant)

Le raisonnement classique compare l’énergie potentielle gravitationnelle au terme cinétique :

mgh = 1/2 m v2

Il conduit à des nombres séduisants (g ≈ 9,81) mais ignore la physiologie de la locomotion et la dépendance du coût métabolique à la pente et au mode de contraction (concentrique en montée, excentrique en descente). Cette comparaison ne suffit pas pour estimer un temps de course ou une distance « équivalente ».

2) Coût énergétique de course selon la pente

Le coût énergétique massique par mètre de course varie avec la pente i (décimale, ex. +0,10 = +10 %) selon une relation non linéaire. Une synthèse de référence (Minetti, reprise par di Prampero & Ferretti) donne :

Cr(i) = 155,5 i5 − 30,4 i4 − 43,3 i3 + 46,3 i2 + 19,5 i + 3,6   [J·kg−1·m−1]

On a Cᵣ(0)=3,6 J·kg⁻¹·m⁻¹ (niveau). La courbe présente un minimum vers −17 % (descente modérée), puis croît fortement pour les pentes raides (↑ en montée ; ↑ en descente à cause du freinage excentrique).

3) Vitesse réalisable et « distance plate équivalente » (EFD)

Pour un athlète donné, la vitesse soutenable sur la pente i dépend de la fraction soutenable de V̇O₂max et du coût :

v(i) ≈ f · V̇O2max / Cr(i)

Sur une trace discrétisée (points GPX), on intègre le coût sur chaque segment :

Etot/kg = Σ Cr(ij)·Δsj

On définit alors l’« Equivalent Flat Distance » (EFD) comme la distance de plat qui aurait le même coût total :

Deq = Etot / Cr(0)

Ainsi, même à vitesse instantanée variable, l’intégrale énergétique capture correctement l’effet des pentes et des alternances montée/descente — ce qu’ignore la règle « 10 km/1000 m ».

4) Terrain, marche et bâtons : effets supplémentaires

• Neige, sable, boue : le coût augmente (ex. sable +15–40 % ; neige profonde jusqu’à des facteurs >2 en marche). Sur trail, ces sections majorent l’EFD réelle par rapport à une trace sèche.
• Marche en montée : la locomotion change (cinématique, recrutement musculaire) et la relation coût‑pente diffère de la course.
• Bâtons : ils redistribuent une partie du travail vers le haut du corps ; le coût global n’est pas diminué de façon systématique (le bénéfice est surtout musculaire périphérique pour les MI).

5) Calculs 2025 — Sierre‑Zinal & UTMB (vainqueurs H)

Hypothèses prudentes basées sur profils publics : pentes moyennes sur les sections montantes/descendantes. Ces EFD sont des bornes basses de l’erreur introduite par « 10 km/1000 m ».

CourseTempsDistance (km)D+ (m)D− (m)Pente ↑Pente ↓EFD (km)Naïf 10 km/1000 m (km)Vitesse plat équiv. (km/h)Allure plat équiv. (min/km)
Sierre‑Zinal 2025 (H)02:28:4531.02200110016 %17 %43.5053.017.553:25/km
UTMB 2025 (H)19:18:58174.09900990012 %12 %204.27273.010.585:40/km

La règle « 10 km/1000 m » surestime l’EFD de 22 % (Sierre‑Zinal) et 34 % (UTMB) par rapport au calcul bioénergétique (Minetti/di Prampero).

En effet, Sierre–Zinal 2025 (31 km, D+≈2200 m, D−≈1100 m)

Découpage réaliste par pentes (3 km @ +25 %, 4,1 km @ +13,4 %, 9 km @ +10 %, 11 km @ −10 %, 3,9 km @ 0 %).

•            EFD (modèle pentes) : ≈ 42,24 km

•            « Règle 1000 m = 10 km » : 31 + 2,2×10 = 53,0 km

→ La règle surestime la distance de ~25 % ici.

  • Effet sur une « vitesse équivalente plat » purement illustrative avec 2:28:45 : Temps 2025 (hommes) : 2:28:45 (Philemon Kiriago).

•            Modèle → ≈ 2:28:36 marathon-équivalent ;

•            Règle 10 km → ≈ 1:58:25 (fantaisiste).

UTMB 2025 (parcours écourté + neige) : • UTMB : 19:18:58 (Tom Evans). iRunFar

Pentes cumulant ~173 km, D+≈9750 m, D−≈9760 m (ordre de grandeur UTMB). Trois scénarios :

  • Sec : EFD ≈ 201,9 km
  • + Neige ~25 km, s = 1,20 : EFD ≈ 245,0 km
  • + Neige ~25 km, s = 1,60 : EFD ≈ 258,6 km
    Comparaison règle 10 km/1000 m : 173 + 9,75×10 = 270,5 km → la règle ignore à la fois (i) le coût minimal en descente autour de −10 à −20 % et (ii) la pénalité surface (neige) quand elle est présente. (La neige augmente fortement le coût/ mètre ; cf. sable 1,6× chez Lejeune 1998 et neige/snowshoeing >+50 % : Connolly 2002). journals.biologists.comPubMed

6) Implications : barèmes et points

Un barème qui plafonne des points par référence au marathon WR et ramène un trail à une distance ‘plate’ par « 10 km/1000 m » crée un biais structurel. Les éditions non standardisées (neige, boue, parcours modifié) exacerbent l’erreur. L’EFD issue de l’intégration du coût sur la trace (Cᵣ(i)) fournit une base robuste pour comparer des performances entre trails, indépendamment d’une référence de plat standardisée.

7) Abréviations et notations

D+, D− : Dénivelé positif / négatif (m).

i : Pente en décimal (ex. +0,10 = +10 %).

Cᵣ(i) = Cr(i) : Coût énergétique massique par mètre à la pente i (J·kg⁻¹·m⁻¹).

EFD : Equivalent Flat Distance : distance de plat ayant le même coût énergétique total.

V̇O₂max : Consommation d’oxygène maximale (débit d’oxygène maximal).

f : Fraction soutenable de V̇O₂max (fonction de la durée/gestion d’effort).

GPX : Fichier de trace (points distance/altitude/temps).

UTMB : Ultra‑Trail du Mont‑Blanc.

ITRA : International Trail Running Association.

8) Références (sélection)

• di Prampero & Ferretti. The Effect of the Incline on the Energy Cost of Running (Eq. 5.9).

• Lemire et al. Level, Uphill, and Downhill Running Economy Values Are Correlated Except on Steep Slopes (2021).

• Breiner et al. Level, uphill and downhill running economy values are strongly intercorrelated (2019).

• Lazzer et al. Energy Cost of Running in Well-Trained Athletes Toward Slope-Dependent Factors (2015).

• Kay & Vickers. Pace and critical gradient for hill runners (1992).

• Horiuchi et al. Comparisons of energy cost and economical walking speed at various gradients (2015).

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