Au-delà du VO2max, tout se joue « à la pédale »

Quand la performance ne se limite plus à la VO2max

Traditionnellement, la performance cycliste était souvent résumée à la consommation maximale d’oxygène (VO2max), indicateur phare de la capacité aérobie. Mais lors des sprints finaux ou des relances, la limite se trouve ailleurs : à la pédale, c’est-à-dire dans la capacité à transformer la force en vitesse grâce à une gestuelle efficace.

Le mémoire de Rémi Castells (2022) montre que la puissance maximale (Pmax), la cadence maximale mesurée, et la capacité à maintenir une haute puissance lactique (Pmoy 30’’ Wingate) sont des indicateurs encore plus déterminants du succès en sprint que le VO2max seul.
Qu’est-ce que le couple ?
Le couple (T) se définit par :

T = F × L

F = force appliquée sur la pédale (en N ou kgF).
L = longueur de la manivelle (en mètre).

Ce couple, multiplié par la cadence (fréquence angulaire), détermine la puissance finale :

P = T × ω
avec ω la vitesse angulaire en rad/s.
Force–vitesse : la clé de voûte du cycliste
Le profil force–vitesse décrit la capacité du cycliste à produire un couple pour chaque cadence. Chaque cycliste a une signature spécifique : certains sont puissants en force (fort couple à faible cadence), d’autres sont puissants en vitesse (capables de pédaler très vite avec un couple plus faible).

F₀ : force extrapolée que le cycliste pourrait théoriquement produire à 0 rpm (force maximale isométrique théorique).
fMax : cadence extrapolée à laquelle la force serait nulle (indicateur du potentiel maximal de vélocité).

Dans la pratique, la cadence maximale mesurée (~110–120 rpm chez les sprinteurs) est toujours inférieure à fMax théorique.
Quand l’âge s’en mêle
Avec l’âge, la force maximale dynamique (MDF) et la force maximale extrapolée (F₀) diminuent (~20–25 % à 58 ans). Les champions doivent alors passer d’un style puissant en force vers un style basé sur la vélocité.
Déplacement du point haut de la puissance
La puissance maximale (Pmax) se situe toujours à un compromis entre force et vitesse.
Avec l’âge, la force maximale F₀ baisse plus fortement que la cadence maximale.
Le point haut de puissance se déplace donc principalement vers le bas (force plus faible), plutôt que vers la gauche (vitesse plus lente).

Ainsi :

  • La cadence optimale de puissance reste relativement stable.
  • Le cycliste âgé conserve la capacité à « tourner les jambes » pour compenser la perte de force.
    L’exemple inspirant du centenaire
    Le cas du centenaire Robert Marchand, décrit par Billat et al. (2017), est emblématique.
    À 101 ans, il a parcouru 24,25 km en 1 heure, puis à 103 ans, il a amélioré son record à 26,92 km (+11 %).
    Comment ? Grâce à un entraînement polarisé (80 % faible intensité, 20 % intensité élevée) et un travail spécifique sur la cadence, il a augmenté sa fréquence maximale de pédalage de 69 à 90 rpm (+30 %).

Cela prouve qu’il est possible, même après 100 ans, de compenser la baisse de force par la vélocité et l’efficacité technique.
Les jeunes seniors de l’Étape du Tour
En 2025, l’âge moyen des participants à la cyclosportive de l’Étape du Tour est de 45 ans : une génération de jeunes seniors déjà confrontée aux adaptations liées au vieillissement musculaire.

Ces cyclistes doivent anticiper cette transition :

  • Préserver F₀ par le travail de force.
  • Développer la vélocité pour maintenir la puissance malgré le déclin progressif de la force.
    Choisir braquet et manivelle
    Exemple : braquet 54 x 11 (~10,3 m/tour).
  • Manivelle longue (172–175 mm) → plus de couple, mais cadence maximale réelle plus basse.
  • Manivelle courte (165–170 mm) → cadence plus haute, favorise la vélocité.

Grâce à nos modélisations :
✅ Une manivelle longue augmente l’énergie par coup.
✅ Une cadence élevée réduit l’effort musculaire instantané.
✅ Avec l’âge, privilégier une cadence plus fluide et un couple modéré devient essentiel.
Pour aller « au-delà » du VO2max
Ce qui compte n’est pas seulement l’oxygène consommé, mais comment on transforme cette capacité en watts, en vitesse, et en efficacité mécanique.

Le test force–vitesse permet :

  • De détecter si un cycliste est puissant en force ou en vitesse.
  • De personnaliser le braquet et la manivelle.
  • De prévoir la stratégie de pédalage optimale selon l’âge et le profil musculaire.
    Résumé et conclusion
    VO2max ≠ destin final : c’est le profil force–vitesse qui détermine la performance décisive.
    F₀ baisse avec l’âge, il faut compenser par la cadence et l’optimisation mécanique.
    La personnalisation du braquet et de la manivelle devient essentielle.
    Robert Marchand prouve qu’on peut progresser même après 100 ans.
    Les jeunes seniors de l’Étape du Tour entrent déjà dans cette phase d’anticipation.
    « À la pédale », tout se joue sur l’équilibre force–vitesse unique à chaque cycliste.

Au-delà du VO2max, le vrai champ de bataille se trouve dans le couple, la cadence et le choix de manivelle. Tout se joue « à la pédale ».
Figures
Profil force–vitesse et puissance (29, 45 et 58 ans, annotée) :


Tableau énergétique et conclusion
Vous trouverez ci-joint le tableau Excel complet des calculs d’énergie par coup et par mètre en fonction de la cadence et de la longueur de manivelle.


En jaune formule la plus économe en joules par mètre pour chaque cadence de pédalage de 60 à 120 rpm pour une braquet de 54 * 11 soit 10,2m roue de 700 et pneu de 28 mm.

En conclusion, il est essentiel de respecter le profil de cadence propre à chaque cycliste et d’intégrer les effets de l’âge.

Il faut viser à maintenir une cadence d’au moins 90 rpm sur le plat et 60 rpm sur une pente de 8 %, tout en restant assis, et en adaptant la longueur de manivelle vers des valeurs plus courtes pour favoriser la vélocité et réduire les contraintes articulaires.

Pour autant, il faut tenir compte aussi des adaptations cérébrales à l’effort, car le cerveau est sensible à la cadence. Nous aborderons ces adaptations et leur rôle dans la régulation de la performance dans notre prochain blog.

Enfin, la cadence trouve aussi une résonance inattendue dans le monde du travail : dans l’approche taylorique, elle est synonyme de productivité. Comme le montre l’exemple de Motocard qui, grâce à Easy WMS, a rationalisé ses processus et expédie 90 % des commandes le jour même. Le suivi des flux, la simplification des itinéraires et la cadence imposée rappellent combien ce paramètre est central, tant sur le vélo que dans la logistique moderne.
Pour autant, les humains, EUX, ne supportent pas toujours et des collègues dont le métiers de chercheurs (et enseignant) est d’optimiser ce process de travail (notamment aussiavec des robots), m’ont signalé en off que malgré une productivité accrue de 15% il a fallut réduire les durées de travail de …plus de 15% en continu. Sans parler du taux d’abandon à venir.
Et c’est justement parce qu’aucun robot ou avatar Le facteur HUMAIN sera peut être considéré comme limitant que le Tour de France de 2050 sera peut-être réalisé par des robots et les écuries seront les as du eSport.
Mais, l’épisode COVID nous a renvoyé à notre existence et plus que jamais le besoin de se sentir vivant en suant souffrant transpirant dans l’effort long et intense s’est fait ressentir depuis.
Avec une tendance à la séniorité et la recherche du « durer vite et longtemps » : le plus âgé sur le tour de France a presque 40 ans et le plus jeune : deux fois moins.
Alors une suggestion : faire le tour de France toute sa vie une étape par an et avec l’itinéraire qui était celui de nos 20 ans !

*Sarcopénie et perte de force avec l’âge
La sarcopénie est une perte progressive et généralisée de masse musculaire squelettique, accompagnée d’une diminution de la force musculaire et de la fonction physique, qui apparaît avec le vieillissement. Elle augmente les risques de chutes, de fractures, de dépendance et de mortalité.

La force maximale isométrique (Fmax iso), qui reflète la force maximale contre une résistance fixe, diminue progressivement avec l’âge :

  • Jusqu’à 30 ans : force stable ou en légère progression.
  • À partir de 30–35 ans : début d’un déclin lent (~1 % par an).
  • Après 60 ans : déclin plus rapide (~1,5–3 % par an).

Exemple comparé à 25 ans :

  • À 50 ans, on observe une perte d’environ 15 à 20 % de la force maximale isométrique.
  • À 70 ans, perte d’environ 30 à 40 %.
  • À 80 ans, perte pouvant atteindre 50 % ou plus.

Cette perte est souvent plus marquée que la simple perte de masse musculaire, en raison de modifications qualitatives (perte de fibres rapides, altérations neuromusculaires) et du phénomène de dynapénié.
Dynapénié : perte de force indépendante de la masse
La dynapénié désigne spécifiquement la perte de force musculaire liée à l’âge, qui n’est pas uniquement expliquée par la perte de masse musculaire (sarcopénie).

Elle résulte principalement d’altérations neuromusculaires :

  • Réduction du nombre et de la qualité des motoneurones.
  • Dégradation des jonctions neuromusculaires.
  • Moindre recrutement et activation volontaire des fibres musculaires.
  • Transformation qualitative des fibres rapides (type II).

Ainsi, un sujet âgé peut conserver un volume musculaire satisfaisant mais perdre une partie importante de sa capacité à produire de la force rapide ou explosive. Cela augmente le risque de chute et diminue la performance fonctionnelle.

En résumé :

  • Sarcopénie = perte de masse musculaire (quantité).
  • Dynapénié = perte de force musculaire (fonction), même sans forte perte de masse.

4 réponses à “Au-delà du VO2max, tout se joue « à la pédale »”

  1. Avatar de Patrice Cattin
    Patrice Cattin

    Bonjour J’ai du mal à lire le tableau des courbes force puissance cadence. Il est indiqué que les valeurs en bleu sont des watts (à droite) on peut donc atteindre 6000 watts ? Connaissant votre rigueur je pense que je n’ai pas tout compris ou mal lu.
    En tout cas la relation cadencé longueur de manivelle énergie dépensé est hyper intéressant. Surtout quand on prend de l’âge. 😀. J’en ai 67 je viens de faire une sortie hier de 100 bornes je regarde mes stats différemment. Je vais pouvoir surprendre les plus jeunes avec ces conseils😉

  2. Avatar de Calixte
    Calixte

    Bonjour Professeur,
    La baisse de vo2max avec l’ âge est elle directement corrélée à cette dynapenie?
    Si l’ on sait maintenir une masse musculaire correcte avec le temps, à t’ on des pistes pour combattre les altérations neuro musculaire que vous évoquez ?
    Merci professeur et bon été studieux 😎

    1. Avatar de Véronique Louise Billat
      Véronique Louise Billat

      oui pour la combattre il faut travailler à hautes fréquences sur une grande plage de force en jouant sur tous les braquets: toujours cette variété comme pour VO2max. Pour Robert marchand nous avons gagné en VO2max par cette stratégie.
      merci

    2. Avatar de Véronique Louise Billat
      Véronique Louise Billat

      Merci beaucoup
      oui je suis en train de la refaire (pb d’unités)

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